entiére. Ainsi peut-on se demander si Michel ne serait pas le fils (ou la méme personne?) du grand chef Michel dont parle déja le pére Jean de Smet en 1861."° Quand Chamberlain arrive en 1891 4 la mission Saint-Eugéne™ -son premier "“terrain"- il pourra consulter 4 sa guise le dictionnaire Kutenai que De Smet avait écrit dés 1858, aprés un séjour de 15 ans.’? Quand récoltant des mythes et des récits Kutenai, Chamberlain sera confronté avec |’influence déja exercée par les missionnaires sur la société et les traditions des Indiens. Mais serait-ce cette influence méme qui serait A Vorigine du présent récit? Le Francais dont il est question serait-il l’un des missionnaires, Jean de Smet ou Coccola, ou un Blanc vivant dans la région? Toutes les hypothéses sont permises. Au niveau du vocabulaire Kutenai, Francais correspond 4 nul’a’ga’na, qui veut dire aussi "vieil homme" nu’la ainsi que “mari", "époux". Si le récit se rapporte 4 des péres religieux, il est probable aussi qu’il soit antérieur a l’arrivée du jeune Coccola, dans les 1 Voir Rév. Jean de Smet, New Indian Sketches, p.113 D.A.J. Sadlier, New York 1865. Voir aussi, pour plus d'information, R.P. PJ. De Smet, “Letters and sketches with a narrative of a year’s residence among the Indian Tribes of the Rocky Mountains" Philadelphie 1843. Reproduit dans "Early Western Travels, 1748-1846", vol.27, R.G. Thwaites, Ed., Cleveland 1906. Mais "Michel" est aussi le nom d’un célébre chef des Tétes Plates... Le pére De Smet les confondrait-il? Ajoutons que les prénoms donnés par les Blancs aux Indiens prenaient souvent une qualité générique et devenaient parfois héréditaires. Selon le RP. Morice, "Histoire de Il €Eglise catholique dans l'Ouest Canadien", vol.4 pp. 265-66, Montréal 1923, la mission Saint Eugéne avait été fondée en 1874, donc aprés la venue de De Smet. ™ Dans une lettre de J. de Smet au pére Fouillot (Op.Cit. p.61) "The language is the greatest difficulty. (...) The Pronunciation is very harsh, the turn of thought is entirely different from ours. (...) They have no abstract ideas, everything is concrete." N 3 Voir A ce sujet, A.F. Chamberlain, Note sur l’influence exercée sur les Indiens, Kitonaqua par les missionnaires catholiques, in Revue. des Etudes Ethnographiques et Sociologiques, II(155-157), Paris 1909. Lire aussi sa Note sur l’association des idées chez un peuple primitif parue dans ‘le Bulletinede la Société d’Anthropologie de Paris, Série 5, "X(132-134), 1909. Le Chronographe Hiver 1986-87 Volume III-4 TRADITION ORALE années 1880. Remarquons que c’étaient souvent les mémes Indiens qui s’occupaien du contact avec les Blancs. Bon nombre d’eux avaient appris le Chinook, langue vernaculaire amérindienne fortement teintée de mots francais et anglais.™* Il est possible donc qu’il provienne alors du chef Michel dont parlait Jean de Smet. Dans cette hypothése, il daterait de l’époque de la venue massive des Francophones dans ces régions de l’OQuest (1820-40). La place nous manque malheureusement pour conduire une analyse exhaustive de ce récit et des circonstances qui entourent sa "récolte" par un linguiste de l’époque. En tout état de cause, posons quelques jalons. Dans le récit Kutenai, l’ours grizzly veut imposer son mariage avec l’une des filles du Frangais. Ces derniéres disent 4 leur pére, qu’elles feront tout ce qu'il leur dira. Une a une elles se rendent avec leur pére chez le grizzly. Mais prises de frayeur, elles s’enfuient 4 chaque fois, exceptée la derniére, la fille cadette. Le pére envoit alors sa propre femme passer une nuit chez l’ours grizzly pour savoir comment il dort... L’analyse de ce mythe ne peut @tre conduite isolément et doit se faire par rapport 4 lunivers mythologique des Kutenai et des tribus voisines. De plus et selon la tradition orale rapportée par Chamberlain, les Indiens Kutenai seraient tous descendants de Vours grizzly. Un autre mythe rapporte que le grizzly serait une femme indienne souvent de trés mauvaise humeur. Quant au mariage traditionnel, il voulait que le prétendant se rendit de nuit au logis de sa future épouse. Et c’est le pére du fils (non de la fille) qui allait dans la maison des parents de la fille pour s’enquérir de Pétat de son fils. Une fois |’alliance consumée, le couple allait vivre dans le ‘village du pére du mari. Si, pour simplifier les procédures, nous comparons directement la réalité Kutenai au récit, nous constaterons toute une série de renversements de situations et d’échanges entre les fonctions et * Le premier dictionnaire connu du Chinoook a été rédigé probablement au milieu du 19e siécle par le Pére F.N. Blanchet, “Dictionary of the Chinook Jargon", 2e édition, Portland, 1858. 11