LANGUE ET HISTOIRE L’enseignement en francais de l’histoire canadienne au Canada anglophone Une entrevue avec le Professeur Robert Sweeny de |’Université Simon Fraser par Guy P. Buchholtzer, S.H.F.C. Dans ses recherches, l’historien comme d’ailleurs le spécialiste des autres sciences humaines et sociales, doit collectionner les faits significatifs dépassant la simple anecdote, interpréter et synthétiser ceux-ci et, finalement, les présenter d’une maniére simple et précise au public, spécialisé ou non, et ceci tout en rendant compte de la réalité historique le plus objectivement possible. Tache difficile, car les choix et les interprétations de Vhistorien doivent dépasser tous les ethnocentrismes, certaines catégories d’explication du monde ou des attitudes qui sont exclusives 4 son univers culturel et qui se propagéent par ce moyen merveilleux de la communication qu’est la langue. Les chercheurs en histoire sont bien conscients a la fois de cette problématique et des limitations qui peuvent en résulter au niveau de l’enseignement de l’histoire. L’Université Simon Fraser (SFU) a voulu tirer avantage de la situation de bilinguisme du Canada en mettant en pratique une politique d’enseignement et de recherche hautement originale. En effet, en offrant aux étudiants la possibilité de suivre un cours d’histoire en frangais, le Département d’Histoire de SFU, en collaboration avec le Department of Canadian Studies, n’a pas seulement oeuvré dans le sens d’un véritable bilinguisme, mais a mis aussi en application, au niveau de 1l’enseignement, les fondements et les résultats d’une recherche historique scientifique tout en se conformant mieux aux réalités socio-linguistiques canadiennes. Pour le professeur Robert Sweeny, chargé d’enseigner en frangais le cours d’Histoire du Canada d’avant la Confédération, il ne s‘agit pas d’enseigner un cours qui soit la traduction en francais d’un cours déja donné en anglais ou de transposer en frangais les formations pédagogiques regues en anglais: "Il est évident, selon moi, que les notions et concepts que nous manipulons dans la saisie des faits historiques et sociaux, sont en relation avec la langue et de la culture a partir desquelles nous les exprimons ou les transmettons." nous déclare-t-il. "La description des faits historiques peut exprimer une relation de ce genre. Le but de ce cours est de développer aussi chez les éléves un sens plus aigu de la critique historique". Le professeur Sweeny ajoute que ce cours sur le Canada d’avant la Confédération de 1867 était destiné au niveau 100° et n’a pas requis de connaissances préliminaires. Le niveau 300 en francais est recommandé pour pouvoir suivre plus aisément. Le curriculum inclue surtout l’histoire des Francophones Hors Québec, de la Nouvelle France et du Bas Canada; celle des Prairies et de la Colombie Britannique sont mentionnées.? La Colombie Britannique rejoint la Confédération en 20 - "Il s’‘agit aussi, pour les éléves, didentifier les grands noms et de lire les revues d’histoire francophone du pays, de replacer les événements dans leur contexte véritable et de situer, de structurer une argumentation en histoire". Pour Robert Sweeny, qui encourage vivement |’enseignement des programmes d’études canadiennes, il faut “lutter contre les préjugés et les mythes a propos du Québec". Il dénonce ainsi le fait que les Anglophones pensent souvent que l’agriculture du Québec est arriérée, que la productivité y est moindre en raison de la division de la terre par l’héritage. I] mentionne 4 ce propos |’étude détaillée de Louis Deschénes? qui réfute point par point ce genre d’argumentation. Tout au long de son cours, Sweeny montre par des exemples “les différences essentielles dans la saisie des faits historiques" entre les Anglophones et les Francophones et montre que cette saisie passe aussi par des facteurs relevant de la stratification sociale des éléves et des enseignants. "JI faut éliminer les généralisations d’ordre historique” nous dit-il, "pour étre capable de comprendre les differences au Canada" Le cours était destiné en priorité A des étudiants se destinant A l’enseignement du francais tout en offrant a ceux-ci la possibilité d’examiner de prés les matériaux d’ordre historique. Robert Sweeny nous dit que 60% des éléves étaient anglophones, le restant étant des Francophones; la majorité d’entre-eux était Agée d'une ‘trentaine d’années. Selon lui, cette expérience mérite d’étre étendue et développée car elle "détermine l’axe pédagogique de former les éléments de base G@ continuer la formation en francais”. Bien qu'il ne soit "pas possible de monter tout en paralléle au niveau des programmes, jai l’impression que ¢a marche". Sweeny ajoute que des étudiants suivant, en anglais, des cours dans d’autres disciplines (géographie, économie, sciences humaines, etc.) yenaient le voir au sujet de Putilisation de textes en frangais. "Jl faut donc créer des options nouvelles" ajoute-t-il en faisant remarquer que Vinitaitive de SFU d’enseignement en francais va dans le sens d’un véritable développement scientifique, linguistique et pédagogique dont le besoin se fait vivement sentir au Canada. Les éléves du cours que nous avons pu rencontrer par la suite ont corroboré ses dires avec enthousiasme. I] reste a souhaiter que bien plus d’éléves et de parents d’éléves soient dorénavant informés plus réguliérement de ces possiblités nouvelles de formation universitaire et professionnelle que leur offre l'Université Simon Fraser. (cont’d) 1871. 2 Louis Deschénes, "Habitants et Marchands";cet ouvrage a eu le Prix Félix Garneau en Histoire du Canada. Le Chronographe Hiver 1986-87 Volume III-4